jeudi 17 octobre 2013

Le temps m'a manqué...il me manque encore... il me manque toujours...
Les  petits plaisirs sont là pourtant, chaque jours, fidèles à  ceux qui les espèrent.
Pour patienter, je vous offre une histoire;

Elle avait toujours été là.                                        
Aussi  loin que remontaient  ses souvenirs, ceux de son père et ceux de son père avant lui, elle avait toujours été là.
Immense et grise, immobile, brisant la ligne d’horizon de son dos arrondi et brillant.
Les étrangers s’imaginaient qu’il ne s’agissait  que d’un simple rocher, une pierre à l’éclat surnaturel et à l’aspect étrangement lisse mais…
Lui savait, l’enfant savait sans que personne jamais ne lui ai dit, apprit  avec des mots. Elle n’était pas faite de roches et de pierres, mais de chaire et de sang. Elle était seule là, comme suspendue au milieu de l’océan, accrochée à l’extrémité des  ses cils.
Les villageois la craignaient,  ce que l’Homme ne peut pas comprendre parait toujours effrayant.
Les pêcheurs ne s’en approchaient jamais, et les habitants  avaient déserté cette partie de l’île où sa vue ne pouvait échapper à leur regard.
Ce que l’Homme ne peut pas comprendre, il s’arrange toujours pour le tenir à distance.
Mais l’enfant n’avait pas peur. A sa naissance il avait reçu le don de la curiosité et celui de la solitude.
Sa mère était morte.
Sa mère venait de mourir, de pousser son dernier souffle dans sa chambre d’hôpital.
Elle n’était plus.
Et lui assit là au bout de la terre, au bout de ses larmes, regardait cette masse sombre dans le soleil couchant.
Et c’était bon.
Tout son monde s’écroulait, englouti dans la peine, le chagrin et cet effroyable sentiment d’injustice, tout s’écroulait, s’assombrissait. Toutes ses certitudes devenaient aussi  friables  que de la terre asséchée par un soleil implacable, tout…sauf Elle.
Petit déjà, Elle le fascinait, il l’avait rencontré un matin, où le cœur écrasé de chagrin il avait fuit  sa maison, les disputes, les cris…
Personne ne s’était aperçut de son départ, personne n’était venu le chercher,  personne ne l’avait retenu pour apaiser sa détresse, personne mis à part cette immensité bleue qui l’empêchait  de s’échapper plus avant et …la Baleine.
Il s’était installé tout au bord de l’eau, le nez au vent se livrant tout entier  au baiser humide que l’océan faisait à la grève, tant et tant de fois renouvelé.
Il s’était abandonné à cette caresse qui ne lui était pas destinée, et cette douceur marine  qui en épousant  les contours de son corps lui avait appris que sur cette plage, il avait sa place.
Et le goût du  sel  sur ses lèvres devenait infini…
Il avait passé beaucoup de temps là, dans cet espace de sable, d’eau et de silence.
Il avait passé beaucoup de temps à la regarder sous le vent, à en admirer la beauté, l’immobilité et le mystère.
Il lui avait offert tous ses plus beaux silences, quelques  unes de ses larmes et tous ses  éclats de rires…
Aujourd’hui   il lui avait apporté dans son  cœur meurtri  toute la détresse d’une perte irréparable.
Il lui avait apporté son enfance, amputé de l’amour et de la présence de sa mère.
Il se leva, s’approcha de l’eau, s’approcha de l’animal, de ce qui depuis tant d’année dans sa vie, n’avait pas bougé.
Un pied devant l’autre
Un pied sur le sable
Un pied dans l’écume des vagues
Un pied dans l’eau glacé, puis un autre et encore un autre…
L’eau montait, le long de ses mollets ronds d’enfant, emprisonnant ses genoux de sa main glacé, glissant sur ses cuisses, toujours plus haut.
Un pied devant l’autre jusqu'à ce que tout son corps bascule et que ses bras d’enfant  ne l’entrainent vers l’avant.
Il s’était mit à nager.
Son esprit submergé  par le chagrin  avait fait silence soudain et son corps s’était mit à parler à sa place…
Son bras droit  projeté vers l’avant, puis le gauche  accompagnés par les battements réguliers de ses jambes ; il avançait comme les aiguilles d’une horloge avec une détermination et une régularité sans faille.
Il voulait échapper à tout ce qui ici, sur cette île sur cette plage, dans cette vie, lui déchirait les entrailles, l’empêchait de respirer.
 Echapper à ce couteau imaginaire qui lui lacerait le cœur sans discontinuer depuis son départ de l’hôpital, échapper au manque d’elle ,à ses bras qui ne le seraient plus, à ses baisers humides sur ses joues et sur son front le soir avant de s’endormir, à son regard qui ne l’accompagnerait plus jamais jusqu’au bout du chemin, à tous ces matins où elle ne serait plus là.
Il nagea longtemps, il nagea fort, il nagea loin, il nagea jusqu'à la Baleine.
C’est la chaleur du contact de sa peau grise et luisante qui l’arrêta.
C’est l’étrange et surprenante chaleur de l’animal qui le rendit à lui-même.
Il colla son corps contre le sien, son visage  noyé à la surface de l’eau dans le gris de sa peau.
Imperceptiblement, l’animal s’inclina basculant sur le côté, offrant son flan à l’enfant comme un rivage improbable. Il s’y abandonna…

Ce sont les cris qui le réveillèrent, son prénom  hurlé, porté par la voix de son père.
Il senti ensuite la caresse du soleil sur sa peau, la douceur iodée du vent, le crissement du sable sous sont corps lourd qu’il tentait de mettre en mouvement.
Ses vêtements avaient séchés, ils étaient rêches, fripés et ils  griffaient sa peau.
En ouvrant les yeux, il fut ébloui par l’intensité de l’éclat du soleil qui se réverbérait sur l’océan, faisant naître des milliers d’étoiles miroitantes à la surface de l’eau.
Une eau qu’aucune  masse sombre et grise ne venait plus  briser. La Baleine avait disparue.
Il s’assit brutalement sur le sable, le regard collé à l’horizon alors que son père et les villageois partis à sa recherche le rejoignaient.
Tous regardaient l’absence, une masse agglutinée de corps sur la plage, autour de l’enfant  et  un unique regard porté sur le vide laissé par la Baleine.
Elle était partie.
Elle avait accueilli l’enfant sur son flan,  elle avait absorbé ses larmes, son chagrin immense et lourd, elle avait englouti  ses peurs les plus profondes sous sa peau et tout en le ramenant délicatement sur le rivage avec sa queue, elle lui avait rendu un peu de son enfance perdue, de ses rêves et de sa foi en la vie.
Et elle était partie.

Avant que quiconque ne pu prononcer un mot, indifférente à la surprise des adultes et tout au soulagement de retrouver celui qu’elle aimait, une petite demoiselle blonde se jeta sur le sable à côté de l’enfant resté muet.
-Tes yeux ne sont plus bleus !!!
  Ils sont gris à présent, gris  couleur baleine…
Ils se saisirent la main dans un même mouvement spontanée et  tendre, et il lui sourit…




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