dimanche 17 novembre 2013

LES CRAYONS DE COULEURS.

Ce sont des rires, que j'entends tout d'abord.
Des éclats de soleil sonores et percutants.
Elles arrivent, elles sont là, comme un vol d'étourneaux  prenant possession d'un ciel d'automne.
Elles courent, légères et gracieuses, aériennes, vers le dortoir pour chercher leurs crayons de couleurs.
Il faut faire vite, ne pas perdre de temps, ne pas laisser la vie s'échapper...jamais.
Toujours être prête, en première ligne...
Chacune se précipite sur son sac, dans un ballet  spontané et pourtant parfaitement chorégraphié...
Les mouvements se font subitement plus petits, plus précis, le temps de faire glisser une fermeture éclair, de saisir une trousse, une boîte et de repartir aussitôt dans un élan de vie impérieux, habillé de rires et de joie.
J'ai 8, 9 ans, le sentiment de faire partie d'un groupe, de vivre  "avec" d'être portée par une énergie commune et partagée, je me sens bien, je me sens "comme"...impatiente..
Je cours, je vole...je glisse...
Ma boîte de crayons de couleurs m'échappe des mains et tout son contenu se répand sur le sol, roule sous les lits, les armoires ...
Personne ne s'est arrêté, personne ne m'attend.
Je suis restée seule, agenouillée sur le sol, au milieu de toutes ces tâches de couleur éparses.
Les bruits de pas, les rires se sont éloignés jusqu'au silence.
Et j'ai pleuré.
Un chagrin de petite fille qui me tord le ventre encore aujourd'hui.
Un chagrin d'enfant solitaire, quelque soit le lieu,le moment, le décor, les personnages...
Seule, toujours...
C'était il y a 30 ans... C'était hier !!!
Quelques instants d'une vie, marqués au fer rouge dans la chair tendre des premiers souvenirs.
Pourquoi celui là plutôt qu'un autre, infiniment répété, à chaque nouvelle blessure, toujours présent ?
Peut être est il temps pour moi de consoler cette enfant. De l'aider à ramasser ses crayons,à se remettre debout.
De lui dire que le silence aussi est un cadeau. 
Que de se retrouver au sol parfois, permet d'élargir son champ de conscience, de s'échapper du mouvement, du bruit, de l'agitation, de se trouver SOI, indépendante et libre.
Les crayons roulaient sur le sol, s'appropriaient l'espace, allaient se nicher dans des coins sombres et inexplorés. Chaque crayon, chaque couleur, unique, indispensable...
Aujourd'hui je me sens enfin capable de revivre ce souvenir avec une émotion neuve.
De réaliser à quel point cette chute aurait pu me rendre libre. A quel point déjà  la vie m'invitait à trouver MA place, à me détacher de la masse, à prendre conscience de ce qui est réellement important; les couleurs, les couleurs roulant sur le sol, s'échappant de leur cage métallique et froide pour partir à l'assaut du lieu, à leur rythme et selon leur envie...dans une danse joyeuse...
Il faisait beau ce jour là, le soleil était éclatant, la pièce baignée de lumière et pour la première fois, je me souviens de la chaleur des rayons du soleil sur ma peau, au travers des baies vitrées.
Je crois qu'il est temps de ramasser tous ces crayons, un à un, bras tendu sous une armoire,de  glisser à plat ventre sous un lit, à droite, à gauche, devant, derrière, à côté d'un radiateur,de laisser ma main tatonner dans les plis d'un vêtement abandonné à même le sol...
Temps de mettre mon corps en mouvement autrement, au service de cet appel de la vie, à mon rythme et à ma façon avec cet amour du détail qui fait de moi celle que je suis...

taillure crayon

Temps de faire confiance à la vie...

OUI, décidément, il est temps de faire confiance à la Vie

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